C'était durant le mois de Septembre 2015, pendant la semaine de vacances entre le projet d'été (adaptation du Maître et Margueritte de Boulgakov, mis en scène par Loïc Le Manach et Margot Van Hove) et la rentrée. Nous étions en Bourgogne avec Charline (ma femme) pour essayer de nous retrouver.

Nous sommes au mois de Septembre, au 3, les Quatre Vingt Besaces , la maison avec le portail recouvert de feuilles, chez mon cousin Maxime, du même prénom que moi. Nous sommes dans la maison de mes ancêtres, maison de mon enfance. La semaine passe vite et je me mets en tête de pêcher un brochet pour Charline, en vain. Une nuit, je l'amène à la gare vers 4 heures du matin, lorsqu'elle part, nous ne savons pas quand nous nous reverrons. En rentrant à la maison, je retourne pêcher toute la matinée sans rien attraper. Ce jour là, il pleut, je suis fatigué et un peu nostalgique. Plus tard dans la journée, mon cousin me propose de retourner à la rivière.



L'eau est calme
L'air doux
Nous sommes au moment où le soleil se couche
Au bord de cette rivière
On sent que le passage à la nuit est un moment particulier
L'eau coule
Sans cesse
Et dans le bon sens
Je suis là
Debout
Au bord de la rivière
J'attends
J'attends
Il se passe quelque chose
Une chasse peut être
Il y a quelque chose d'inquiétant lors de la tombée de la nuit
Une sorte de pression basse
Quelque chose de sous-jacent
Lorsque la lumière du jour tend vers celle de la nuit
Le ciel est beau
L'odeur de l'air
Je me roule une cigarette avant de commencer
La fumée me protège
Elle chasse les moustiques
J'ai pris soin de placer mes chaussettes sur l'ourlet de mon pantalon pour éviter d'être mangé par les tiques
Je suis bien
protégé
Mes chaussures ne prennent pas l'eau
Je pose l'épuisette sur le sol
Je ramasse la canne à pêche
Regarder la rivière
Se demander où il se trouve le poisson
J'imagine les reliefs sous-marins
Les trous
Les branchages
J'ai équipé ma canne d'une cuillère
C'est l'appât avec lequel nous attrapons le plus de brochet ces derniers temps
La pêche est une hypothèse
Imaginer quel appât plaira le plus au poisson aujourd'hui
En fonction de la lumière
De la couleur de l'eau
Sa transparence
Je tente un premier lancer
Je ramène la cuillère
Ni trop vite
Ni trop lentement
Le temps n'existe plus
Je lance la cuillère dans l'eau
Je ratisse les profondeurs
La surface de l'eau est un miroir derrière lequel se cache ce que je convoite depuis longtemps
Pour la gloire
La combativité
Manger
À chaque partie de pêche
J'espère attraper un brochet
Les lancers se succèdent
Je lance la cuillère
Je la ramène
Je sonde la rivière
Comment savoir où se trouve le poisson
Je ne lance pas au hasard
Je fais des hypothèses
Sous ce tas de branches
Un brochet est peut être à son poste et comme moi il a peut être faim
Il chasse
Alors je lance le long de ce tas de branches
Sous l'eau
Je suis au-dessus de l'eau et je cherche quelque chose qui est sous l'eau
Quelque chose que je ne vois pas
La matière nous oppose
Nous ne vivons pas dans le même air
Ça mort
Je ferre
Quelque chose s'est accroché au bout du fil et je dois le ramener
Je le sens
Il tire
Se débat
Le combat est moins intense que prévu
Je ramène sans trop de difficultés
Je l'aperçois enfin
Il ne se laisse pas faire
Je suis plus fort que lui
Mon cousin est aux aguets
Il est déjà là
Avec l'épuisette
Il le cueille à la rivière
Le dépose sur la plage de galets
Nous sommes sur le qui-vive
Ce pourquoi nous étions venus est arrivé
Le brochet est un adulte
Il fera un bon repas
Mon cousin sort son cran d'arrêt
D'un coup d'oeil me demande la permission de le tuer
J'acquiesce
La lame pénètre derrière sa nuque et le cloue à même le sol
Il bouge un peu puis plus rien
Je le regarde
Je le vide et donne ses entrailles aux chiens
J'enfile un bâton à travers ses ouïes
Je continue de pêcher
J'ai comme une gueule de bois d'avoir pêché ce poisson
Comme une envie de gerber
D'avoir trop bu pour faire le malin
Je suis dans l'eau jusqu'aux cuisses
La nuit continue de tomber
Pêcher n'est qu'un prétexte à rester là dans l'eau
Inutile
Dans cette rivière
À écouter les bruits
Les odeurs
Être seul à lancer encore cette cuillère dans l'eau et continuer à la ramener
Je n'y vois plus rien
C'est inutile
Il fait froid
Charline me manque
Qu'est-ce que je fous là
Je rentre à la maison
Nous mangeons ce trophée
Ce fardeau
Sa viande est un peu élastique
Il n'a pas le goût de mon souvenir
Je lui ai pris sa vie
Comme ça
Par nostalgie